Le 7 janvier 2015, deux terroristes français se revendiquant de l'islam ont assassiné des journalistes de Charlie-Hebdo, au nom d'une vengeance contre des dessins considérés blasphématoires par certaines personnes.
Il y a une unanimité, que l'on soit croyant ou non, pour dénoncer de tels assassinats commis au nom d'une religion.
Il n'y a par contre pas d'unanimité sur ce qu'il est possible, légal ou souhaitable de dire: voici donc le sujet de cette page.
En France, il y a une totale liberté en matière religieuse. On peut donc:
avoir les croyances que l'on veut: aucun «délit d'opinion» n'existe en France
pratiquer (ou ne pas pratiquer) la religion que l'on veut, se convertir ou quitter une religion
proclamer des idées religieuses: que Dieu existe, que Dieu n'existe pas, qu'il y a plusieurs dieux,... créer des lieux de culte, de quelque religion que ce soit.
Il est impossible bénéficier pour cela d'une subvention (la loi de 1905 l'interdit). Il suffit de respecter les règles d'urbanisme et les règles de sécurité applicables aux bâtiments recevant du public. En pratique, les nouveaux lieux de culte sont souvent des bâtiments très classiques, par exemple d'anciens locaux commerciaux.
On ne peut pas provoquer de tapage: une mosquée française ne peut avoir de hauts-parleurs pour le «muezzin» (appel à la prière), et les cloches des églises sont soumises au contrôle du maire ou du préfet.
s'afficher avec des signes religieux sur l'espace public: crucifix, tenue de bonne-sœur, kippa, foulard musulman, robe bouddhiste...
Les signes religieux très visibles («ostensibles») ne sont interdits que dans les lieux devant rester neutres car destinés à l'éducation des enfants (les écoles publiques), pour les personnes devant rester neutres (les fonctionnaires), ou lorsqu'ils sont incompatibles avec l'activité professionnelle (un foulard ou une robe dans un atelier de mécanique). Les habits qui masquent le visage (tels que niqab ou burka, ou capirote des pénitents catholiques) sont interdits sur la voie publique, essentiellement pour raison de sécurité, mais aussi parce qu'ils témoignent d'une oppression insupportable contre les femmes.
organiser des manifestations sur la voie publique, à condition de faire une déclaration préalable (comme pour n'importe quelle manifestation).
On peut donc faire et dire des choses qui choquent d'autres personnes. On peut par exemple proclamer que Dieu existe et qu'il faut le craindre sous peine de griller en enfer pour l'éternité, bien que cela choque les athées. Et de même, un athée peut proclamer que Dieu n'existe pas, et un hindou qu'il y a une multitude de dieux, bien que soit un blasphème ou une hérésie pour les croyants des religions monothéistes.
On peut également contester des points précis de la foi des
croyants, ce qui arrive lorsque des croyants de religions voisines
se rencontrent. Par exemple, les musulmans chiites estiment
souvent qu'il est parfaitement possible de représenter le prophète
Mahomet, ce qui est un blasphème pour la majorité des musulmans
sunnites. Et de même, les chrétiens protestants considèrent
généralement qu'il n'est pas possible de vénérer un Dieu constitué
de 3 personnes (la «Sainte Trinité» des catholiques: le
Père, le Fils et le Saint-Esprit), ou encore de croire à la
virginité de Marie, la mère de Jésus: leur foi constitue donc un
blasphème pour les croyants catholiques; à ce titre ils ont subi
les pires attaques au fil de l'Histoire de France, mais la laïcité
a progressivement ramené la paix entre catholiques et protestants
français.
En résumé: le «blasphème» n'existe pas dans la loi française. En France, la liberté religieuse est totale, c'est-à-dire qu'elle concerne toutes les formes de croyance ou l'absence de croyance.
L'interdiction du «blasphème» ne peut logiquement concerner que les personnes qui obéissent à une autorité religieuse. Malheureusement, ce n'est généralement pas de leur plein gré que les personnes obéissent à une autorité religieuse, mais plutôt parce qu'elles vivent dans un pays où elles n'ont pas d'autre choix que d'obéir à ce pouvoir religieux. À ce titre, le blasphème dans un pays théocratique (c'est-à-dire dirigé par une autorité religieuse) est vu comme un crime de lèse-majesté, et est puni de la même façon que les dictatures punissent les opposants politiques ou les journalistes indépendants.
Lorsque la France était dirigée par une monarchie qui était associée à l'Église catholique, le blasphème visant la religion catholique était interdite (mais on pouvait critiquer autant que l'on voulait les protestants, les juifs, les musulmans, les polythéistes...). Actuellement, il y a certains pays qui reconnaissent plusieurs religions, souvent l'une plus que les autres, et il peut arriver qu'ils interdisent tous les «blasphèmes» dont s'estiment victimes les différentes religions reconnues par l'État: c'est une situation inconfortable pour les adeptes des religions minoritaires, car la foi d'une religion est généralement un blasphème pour les autres religions.
La liberté religieuse garantie en France se distingue
radicalement de la tolérance religieuse des responsables
religieux, tolérance généralement limitée aux religions
apparentées. Ainsi le mouvement «œcuménique» cherche la tolérance
entre les différentes églises chrétiennes et non avec l'ensemble
des religions. Beaucoup de responsables musulmans reconnaissent et
tolèrent les religions monothéistes qui existaient à l'époque de
Mahomet (c'est-à-dire les prophètes juifs et chrétiens), à
l'exception des autres religions. Le pape François (Jorge
Bergoglio) a
déclaré le 7 janvier 2015 que «la liberté d'expression a[vait]
des limites», et qu'il ne fallait pas «insulter la foi
des autres»: il n'a pas précisé si sa foi de catholique
était «insultée» par la foi des chrétiens protestants
(dont il a regretté le massacre par l'église catholique), mais la
loi française, elle, ne fixe aucune limite de ce type, et accepte
la foi des uns et des autres sans distinction et sans chercher à
déterminer si l'une «insulte» l'autre.
La liberté d'expression est totale en matière religieuse, mais on
ne peut pas dire n'importe quoi, surtout lorsque l'on vise des
personnes:
Le prosélytisme est le militantisme religieux: le fait de
chercher à convaincre d'autres personnes qu'il faut croire en un
dieu (ou plusieurs dieux), suivre les règles instaurées par une
religion, ou au contraire ne croire à aucun dieu et fuir tout
clergé. L'objectif peut être de renforcer la pratique religieuse
des adeptes d'une religion, mais surtout de susciter de nouvelles
adhésions (conversions). L’étymologie signifie «nouveau converti»,
ce qui est logique car les personnes récemment converties dans une
religion en sont souvent les militants les plus acharnés.
Il est donc évident que le prosélytisme est autorisé en France,
au titre de la liberté d'expression et de la liberté religieuse.
On peut affirmer publiquement qu'il faut croire en Allah, en la
Sainte Trinité, en Yaweh, en Bouddha, en Vishnou, ou en personne,
aussi bien que l'on peut affirmer que le néolibéralisme amènera la
prospérité ou bien que le communisme est la seule solution. La
laïcité française autorise explicitement le prosélytisme.
Il est donc très étonnant de voir quelques maires, de façon très rare mais souvent médiatisée, décider des mesures telles que l'interdiction d'une plage aux femmes portant un foulard musulman, sous prétexte qu'ils respectent la liberté religieuse mais qu'ils s'opposent au prosélytisme. On pourrait discuter à l'infini de savoir si les femmes en question agissent par prosélytisme (c'est possible mais loin d'être évident), mais ce serait inutile car il est de toute façon autorisé de faire du prosélytisme sur l'espace public. Seuls les fonctionnaires doivent rester neutres, pas les usagers! Pour autant, si quelqu'un milite pour une religion (ou pour une opinion politique, ou pour un candidat à une élection) à un endroit où les personnes cherchent la tranquillité, il ne devra pas être surpris s'il provoque le désintérêt, la lassitude ou l'énervement de ses interlocuteurs.
Il va de soi que le prosélytisme doit respecter la liberté des
autres personnes: si quelqu'un veut se promener en kippa ou en
soutane et conseiller à d'autres de suivre son exemple, grand bien
lui fasse, mais il n'a pas le droit de l'imposer aux autres
personnes. Harceler ou menacer une personne dans le but qu'elle
obéisse à une règle religieuse est évidemment puni par le code
pénal: par exemple, une femme qui serait insultée ou menacée parce
qu'elle ne porte pas le voile musulman, parce qu'elle irait à la
piscine municipale, ou parce qu'elle sortirait avec un
non-musulman, devrait porter plainte pour faire condamner les
coupables.
Représenter le prophète: oui bien sûr, cela ne fait aucun doute.
La justice française ne va évidemment pas trancher le débat
théologique qui existe entre les musulmans sunnites (qui refusent
les représentations du prophète Mahomet) et les musulmans chiites
(qui les acceptent souvent), elle n'applique que les lois.
Brûler une Bible est a priori autorisé: la loi protège
les individus, les animaux, ou le patrimoine naturel et
historique, mais elle n'interdit pas de détruire un livre acheté
en librairie. Cependant, si l'acte est commis en public, par
exemple dans une manifestation, dans le but d'attiser la haine
contre les chrétiens, alors il pourrait tomber sous le coup de
l'incitation à la haine raciale (ou religieuse), et donc être
sanctionné d'une amende (contravention de la 5e classe) ou d'un
travail d'intérêt général.
Le fait de déposer une tête de cochon devant une mosquée sera
sanctionné pour au moins deux motifs. Déjà un évident motif
d'hygiène publique (l'abandon de déchets). Ensuite, l'auteur devra
expliquer ses motivations, et il est très probable que cela
s'avère être une incitation à la haine raciale à l'encontre des
musulmans.
Mais dans les deux derniers cas, si l'acte peut être compris
comme un message de menace (par exemple «nous allons brûler
votre église» ou «nous allons tirer sur votre mosquée»),
alors c'est un délit puni de prison: les menaces de mort sont
punies d'une peine de prison, et comme ces menaces sont émises en
raison de l'appartenance à une religion, c'est encore plus grave.
Les peines, prévues à l'article
222-18-1 du Code Pénal, sont alors particulièrement lourdes:
2 ans de prison pour des menaces de violences, 5 ans pour des
menaces de mort et pour les menaces avec chantage, 7 ans pour des
menaces de mort avec chantage (c'est-à-dire par exemple une
inscription «partez sinon la prochaine balle sera pour vous»).
C'est le cas du mouvement BDS (ci-contre), qui appelle à boycotter l'État d'Israël. Bien d'autres pays ont été boycottés précédemment, par exemple l'Afrique du Sud à l'époque de l'apartheid.
La question a pourtant été posée juridiquement: le CRIF
(émanation de l'État d'Israël en France) a affirmé que le boycott
de l'État d'Israël, c'est la discrimination et la haine contre les
Israéliens et les juifs. La situation est rendue plus délicate par
le fait qu'il existe effectivement des mouvements anti-juifs en
France (en particulier dans les extrême-droites catholique et
musulmane). Des circulaires ministérielles de 2009 et 2012 ont
demandé la répression des appels au boycott contre l'État
d'Israël, mais elles sont choquantes sur le plan juridique.
Si chacun peut bien sûr boycotter ce qu'il veut, lorsque quelqu'un appelle au boycott il faut savoir:
Les plaintes qui ont été déposées argumentaient que le boycott nuit à des personnes qui sont juives et qu'il s'agit donc d'une discrimination basée sur la religion. Ce raisonnement est aussi absurde que de voir une haine des blancs dans le boycott de l'Afrique du Sud de l'apartheid. Les personnes qui appellent au boycott d'Israël ont surement intérêt à souligner qu'elles ne visent personne en raison de sa religion, qu'elles ne sont pas responsables du fait que les dirigeants israéliens sont juifs (que c'est au contraire un effet de l'apartheid qu'elles dénoncent), et que l'appel est soutenu par des citoyens israéliens et par des Européens de religion juive.
Mais au fait, peut-on boycotter une religion? Bien sûr: on peut
même défendre une religion et rejeter les autres, tant que cela ne
nuit pas à la liberté d'autrui. Par exemple, j'invite qui veut
m'entendre à ne pas se faire soigner à l'hôpital universitaire de
Pampelune, et à ne pas étudier à l'université privée de Pampelune,
car les deux appartiennent à l'Opus Dei, une secte affiliée à
l'Église Catholique et qui me semble dangereuse pour la société.
Le fait qu'il soit autorisé de dire quelque chose ne signifie pas
que ce soit toujours une bonne idée. Il y a probablement des
choses que vous ne devriez pas dire à votre belle-mère, bien que
la loi vous autorise à les dire, si vous voulez éviter les
problèmes familiaux...
Les «caricatures de Mahomet», publiées par un journal danois et reprises ensuite par Charlie Hebdo, ont suscité des manifestations dans une grande partie du monde, qui ont provoqué plusieurs morts. Il est tentant de se dire que le prix à payer est excessif: la liberté de publier quelques dessins ne vaut peut-être pas ces vies humaines. Mais la réponse n'est pas si facile: ceux qui tuent au nom du blasphème commis par Charlie Hebdo, tuent également des personnes dont le seul tort est d'être des musulmans chiites ou de jouer de la musique. Dans ce cas, peut-être vaut-il mieux focaliser leur haine contre un journal lointain plutôt que vers d'autres victimes.
Comment définir une «provocation» à l'égard des croyants? Dans
certains pays, le simple fait de changer de religion ou de se dire
athée est considéré comme une provocation passible de la peine de
mort: on parle d'«apostasie» en
jargon religieux (en France cela a été puni de mort pendant des
siècles mais c'est ancien; dans plusieurs pays dirigés par des
pouvoirs musulmans c'est encore aujourd'hui puni de mort; en
Israël ce n'est pas officiellement puni mais c'est très difficile
car une personne qui n'accepte aucune religion n'a plus d'État
civil et ne peut par exemple pas se marier). Admettons qu'une
provocation est le fait de dire quelque chose dans le but de
choquer un croyant. Mais cela reste difficile à définir: comment
distinguer celui qui dit «je suis athée» (ou «la
Sainte Trinité est une absurdité») par simple conviction, et
celui qui dit la même chose par volonté de choquer les croyants,
ou encore celui qui dit la même chose par choix politique (pour
contester la légitimité d'un pouvoir s'étant auto-proclamé
autorité religieuse)?
Voici quelques réflexions:
La devise du Canard Enchaîné est remarquable:
«la liberté de la presse ne s'use que si l'on ne s'en sert pas»
Dans ce cas, la liberté d'expression joue un rôle précis:
permettre au journaliste de dire la vérité.
Et la provocation sert uniquement à sauvegarder la liberté
d'expression.
Malgré sa devise, le Canard Enchaîné est très modéré dans
son expression: il n'insulte personne, il n'accuse pas sans preuve
ni de façon injustifiée (c'est-à-dire qu'il parle de ce qui a une
pertinence politique, là où d'autres journaux n'hésitent pas à
raconter en détail la vie privée des uns et des autres), et il
rectifie généralement ses erreurs (ce que ne font pas les chaînes
de télévision).
La provocation gratuite de Charlie Hebdo: alors
que le Canard est un journal d'information, Charlie
est d'abord un journal de bandes dessinées, qui fut d'abord
mensuel (comme l'est actuellement l'excellent Psikopat, 5€ en kiosque).
Son ironie est donc souvent gratuite: son but est de faire rire,
même en l'absence de toute pertinence politique. Mais c'est aussi
un journal d'opinion, de gauche et résolument athée. Pour ma part,
c'est un style que je n'apprécie guère, car je le trouve «trop
facile»: il est facile de se moquer de gens (de personnes en
particulier, ou de catégories de personnes), mais c'est
stérile et ça finit par «tourner en rond». Charlie Hebdo
n'a pas les journalistes capables d'alimenter un hebdomadaire
d'information, ni les auteurs variés permettant de créer un
journal d'opinion constructif. La diffusion de Charlie-Hebdo est
d'ailleurs incomparablement plus faible que celle du Canard
Enchaîné.
Faut-il éviter la provocation gratuite? Oui certainement,
si vous souhaitez échanger avec une personne sincère qui est en
désaccord avec vous! Car si vous choquez profondément votre
interlocuteur, il devient incapable d'entendre vos arguments.
Mon avis personnel est que la provocation gratuite habituellement
pratiquée par Charlie Hebdo n'est pas utile, et qu'elle ne
favorise pas particulièrement le dialogue. Mais il y a bien
d'autres publications que je n'apprécie pas: il suffit de ne pas
les acheter. Si quelqu'un estime être calomnié par ce journal, il
peut porter plainte; dans le cas contraire, qu'il se contente
d'ignorer ce journal.
Faut-il éviter de provoquer les intégristes? si le mot
«intégristes» désigne les personnes qui tentent de prendre le
pouvoir en s'appuyant sur une religion, alors la prudence est
inutile. En effet, ces personnes agissent par intérêt personnel et
ne sont pas sincères. Elles trouveront donc toujours quelque chose
qu'elles pourront dénoncer comme étant une provocation ou un
blasphème, et n'hésiteront pas à mentir au passage. Il est arrivé
qu'ils modifient des dessins pour les rendre plus
«blasphématoires», le dessin original étant trop peu choquant à
leur goût. Ils peuvent également tromper leur auditoire en
tronquant les citations, ou en sélectionnant uniquement certains
dessins: par exemple, un intégriste musulman dénoncera certains
dessins de Charlie Hebdo, critiques envers la religion musulmane,
mais il se gardera bien de montrer les dessins voisins, qui sont
critiques envers les religions catholique, juive et bouddhiste, ou
envers les politiciens qui attisent le racisme contre les immigrés
maghrébins.
La laïcité apporte la paix en France depuis plus d'un siècle, y
compris aux croyants. Mais pour les intégristes, c'est une menace
mortelle, car elle interdit à quiconque d'arriver au pouvoir en
s'appuyant sur la religion. Quoi qu'elle fasse, la France, comme
les autres pays laïcs (mais très peu de pays sont aussi laïcs que
la France), sera donc toujours accusée par les intégristes (de
toute religion) d'insulter la foi des croyants. Heureusement, les
intégristes sont très minoritaires par rapport aux véritables
croyants, qui préfèrent pratiquer librement leur religion dans un
pays laïc plutôt que de se la voir imposer par une dictature
religieuse.
La «une» de Charlie du 14 janvier 2015 est-elle provocante?
Non, pas du tout! Cette «une» montre le prophète Mahomet pleurant
le décès des journalistes de Charlie assassinés par des assassins
se revendiquant de l'islam. Le fait de représenter le prophète
Mahomet est interdit par l'islam sunnite, mais cela n'a rien
d'insultant. Le dessin lui-même n'a rien de choquant puisque l'on
y voit un homme avec une larme à l'œil. Et le message lui-même est
un message d'apaisement, puisqu'il illustre le fait que les
musulmans sont attristés par les crimes commis au nom de leur
religion.
La manifestation (4 millions de Français) du 11 janvier 2015 était-elle utile? Oui, énormément! Car elle a permis de réaffirmer plusieurs principes:
que la France refuse de se laisser diviser (par les intégristes, qui veulent détruire la laïcité, et par les racistes, qui veulent susciter le rejet des étrangers),
que la liberté d'expression et la liberté religieuse sont des valeurs essentielles de la France.
Cette manifestation a été exemplaire par son ampleur exceptionnelle, par la variété de ses participants (de toutes origines et de toute religion), et par son déroulement sans incidents. Il est remarquable que cette manifestation revigorante a été critiquée uniquement par le Front National, ce parti qui cherche constamment à attiser la méfiance entre les Français et à semer le doute sur la possibilité de vivre en bonne harmonie.
Les actes de terrorisme avaient prouvé à quel point les Français
vivent, déjà, en bonne harmonie quelle que soit la religion et
l'origine de chacun: les 2 terroristes qui ont assassinés les
journalistes athées de Charlie, ont également assassiné un
traducteur né en Algérie et un policier musulman. Le terroriste
qui a assassiné des clients juifs du magasin «Hyper Cacher», a
également tué une policière municipale d'origine antillaise,
tandis que de nombreux autres clients juifs devaient leur survie à
l'acte de bravoure d'un salarié du magasin, immigré du Mali et
musulman pratiquant. Plusieurs victimes étaient des Français issus
de pays du Maghreb (qui étaient juifs, musulman ou athée). Tandis
que les assassins, eux, étaient des Français, nés en France et
éduqués en France.
La France fait partie des pays où la liberté d'expression est la
plus grande et la plus ancienne, particulièrement en matière
religieuse.
1. La déclaration
des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (adoptée
lors de la Révolution Française, intégrée à la Constitution
française et donc applicable en France, même s'il a fallu attendre
beaucoup trop longtemps avant que les droits de l'homme soient
applicables dans les colonies françaises), qui est connue dans le
monde entier:
Article 10: Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi.
Article 11: La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.
2. La loi
de 1905 (loi «concernant la séparation des Églises
et de l'État», instaurant la laïcité de la France, et
toujours en vigueur), un véritable chef d'œuvre juridique, mais
que la France n'a pas appliquée dans ses colonies, notamment au
Maghreb, et qu'elle n'applique toujours pas en Alsace:
Article 1: La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public.
Article 2: La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. (...)
3. La déclaration universelle des droits de l'homme (adoptée en 1948 par les Nations Unies, déclaration sans portée juridique, mais source d'inspiration pour la convention européenne des droits de l'homme)
Article 18: Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites.
Article 19: Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit.
4. La convention européenne des droits de l'homme (adoptée en 1950 par le Conseil de l'Europe, légalement applicable sur tout le continent Européen, y compris la Russie et la Turquie, à l'exception de la Biélorussie, via la Cour Européenne des Droits de l'Homme):
Article 9 – Liberté de pensée, de conscience et de religion
- Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.
- La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.
Article 10 – Liberté d'expression
- Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
- L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.
Conclusion sur les textes applicables
La liberté d'expression est reconnue en France depuis plus de deux siècles (mais pas de façon continue).
En France, cette liberté d'expression s'est appliquée dès le
départ également aux questions religieuses. Ceci n'était pas
évident en 1789, où la France encore dominée par l'Église
Catholique se souvenait des massacres contre les protestants, et
des condamnations contre certains athées, ce qui explique pourquoi
les rédacteurs de 1789 ont cru utile de préciser «Nul ne doit
être inquiété pour ses opinions, même religieuses».
Ces principes sont toujours reconnus par la France, car la
déclaration de 1789 est intégrée en préambule de la Constitution
française, c'est-à-dire que toutes les lois doivent respecter ces
principes. Une personne qui serait accusée par une loi contraire à
ces principes pourrait faire annuler la loi en question en
déposant une «question préalable de constitutionnalité» (QPC)
auprès du Conseil Constitutionnel.
À l'époque, la liberté d'expression existait déjà aux États-Unis (où elle n'a jamais disparu, du moins dans les textes), mais son application au domaine religieux était moins évident, car le pays avait été créé par des immigrants protestants, majoritairement très religieux.
La loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l'État est une
véritable spécificité française: elle instaure la laïcité (un mot
intraduisible dans beaucoup de pays du monde: la laïcité n'est pas
l'athéisme), c'est-à-dire que l'État accorde aux citoyens une
totale liberté religieuse (de conscience, de pratique et
d'expression), et crée une barrière entre le pouvoir et la
religion. Cette loi a bien sûr réduit le pouvoir de l'Église
catholique, mais elle a été précieuse pour les protestants (encore
rejetés par la majorité catholique), ainsi que pour les juifs (l'affaire
Dreyfus n'était pas encore terminée: le capitaine Dreyfus,
un militaire, avait été accusé à tort de trahison, en raison de sa
religion juive). Mais cette loi ne s'est appliquée qu'en
métropole, et donc pas dans les colonies d'Afrique du Nord,
majoritairement musulmanes: cette discrimination, classique à
l'époque de la colonisation, n'a pas contribué à faciliter la
compréhension de la laïcité française.
La déclaration universelle des droits de l'homme, adoptée par
l'ONU en 1948, donne un caractère universel aux principes français
de 1789.
Des millions d'Européens de confession juive avaient été
exterminés par les nazis en raison de leur religion (et des
millions d'autres en raison de leur origine ethnique comme les
tziganes, de leurs opinions politiques, ou encore de leur
homosexualité). C'était donc une nécessité vitale pour l'Europe de
garantir que plus personne ne serait inquiété pour sa religion.
La convention européenne des droits de l'homme, de 1950, apporte
une valeur légale en créant une cour de justice, la Convention
européenne des droits de l'homme (CEDH), capable de condamner les
États qui ne respectent pas les principes qu'ils ont signés, parmi
lesquels ont trouve la Russie (dont le pouvoir s'appuie sur
l'Église Orthodoxe) ou la Turquie (actuellement aux mains d'un
gouvernement islamo-conservateur). La CEDH a fait la preuve de son
efficacité. Plus moderne que les textes précédents, ce texte
mentionne explicitement la liberté de la presse. Précisons, car la
confusion est fréquente, que la CEDH a été créée AVANT l'Union
Européenne, et qu'elle inclut de nombreux pays qui ne sont pas
membres de l'Union Européenne (cependant, l'Union Européenne exige
que ses États membres aient ratifié la convention européenne des
droits de l'homme, et depuis peu elle s'engage elle-même à la
respecter).