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Je suis un délinquant célèbre, « l'arracheur d'autocollant ». Je résume pour ceux qui ignorent encore mon forfait du dimanche 8 janvier 2006: pour avoir décollé un autocollant sur l'entrée du lycée Méditerranée à Montpellier, autocollant gardé 24h/24 par un vigile en embuscade, j'ai subi 24h de garde à vue et j'ai été présenté en comparution immédiate; l'affaire a suscité un grand mouvement populaire et politique, les journaux en ont longuement parlé, et mon procès m'a valu un passage à la télévision.
À
Montpellier, on m'a dit « Il est vraiment fou »
(sous-entendu: Georges Frêche). Ailleurs, on m'a plutôt dit « C'est
incroyable ». Pourquoi une telle affaire n'est-elle pas
incroyable dans notre région?
La concentration dans les mains de Frêche, à cause du cumul des mandats sans limitation de durée, du clientélisme, de la faiblesse des médias locaux, ce phénomène est hélas très habituel en France. Sauf qu'habituellement, un politicien cherche à séduire: par des promesses, par des cadeaux ciblés (clientélisme), et heureusement aussi par ses actions d'intérêt général.
Ici, rien de tel, Frêche ne séduit pas, d'ailleurs personne ne l'aime! Il utilise la propagande pour impressionner: campagnes de pub à Paris, discours interminables (et sans intérêt), panneaux publicitaires à son effigie, tout est bon. Pour les réticents, il utilise la peur, en manipulant un pouvoir de nuisance de plus en plus grand: création d'une décharge (Castries), suppression du tram ou du bus (Palavas), blocage des accès (fac de droit), injures (généralisées). C'est un style assez rare chez les politiciens, quelque chose entre Le Pen et Sarkozy. Avec Frêche, impossible de discuter, ce timide devenu matamore en est bien incapable, on doit lui retourner ses propres armes, à savoir la propagande (bref, la presse) et la capacité de nuisance (bref, les tribunaux).
Pour fréquenter le microcosme montpelliérain depuis longtemps, j'en souffre. Militant pour la place du vélo en ville dans l'association Vélocité-Languedoc, nos relations avec la mairie ou pire l'agglo sont fluctuantes selon les sautes d'humeur du chef. Une année de grandes déclarations la main sur le coeur, une année de réels progrès hélas trop parcellaires, et ensuite pendant 3 ans plus rien du tout, au contraire on casse tout ce qu'on a fait précédemment. Ensuite, la presse dénonce la situation indigne de la circulation à vélo, ou nous promettons un recours au tribunal administratif, tout se débloque, et on repart pour un nouveau cycle de 5 ans.
Autre phénomène typique: aucune décision importante n'est basée sur le bon sens. Impliqué dans le Collectif Tramway qui a voulu améliorer le projet de 2e ligne de tramway, je peux témoigner qu'on a choisi la solution la plus lente, la plus coûteuse, et la moins utile: un tram zigzaguant dans des petites rues et faisant une large boucle inutile et fort coûteuse au bord du Lez. Les motivations: favoriser les alliés (le maire de Jacou plutôt que celui de Vendargues), nuire aux opposants (d'où la ligne 3 qui n'irait pas à Palavas),... et faire des affaires immobilières juteuses avec les promoteurs sur le dos des citoyens.
Cette affaire de lycées est un cas d'école du « frêchisme ».
D'abord un gros coup de pub sans rien derrière: Frêche veut se mettre en avant en changeant le nom des lycées. Comme à son habitude, il ne consulte personne, recherche la provocation puérile plus que le consensus (des communistes dans les communes gérées par la droite), calomnie à tout-va (ceux qui refusent le nom de Mendès-France sont forcément antisémites), et s'assied sur le droit (on change l'enseigne de lycées avant même une délibération du conseil régional).
Cette passion de Frêche pour l'affichage n'est pas nouveau: on se souvient des panneaux « MULTIPLEXE » qui avaient couvert la ville alors qu'il n'y avait qu'un terrain vague, ou des panneaux « Fac de droit » qui pointaient vers Richter et non vers la fac de droit (située au centre-ville). Ou à l'inverse du démontage nocturne des panneaux « Polygone », suite à une protestation des commerçants, panneaux réinstallés la nuit suivante... car ils appartenaient en réalité au Polygone!
La population s'énerve: quelle bêtise, surtout après la « Septimanie »! Alors qu'il manque encore des livres dans certains lycées! Un élu normal jetterait l'éponge. Frêche, lui, passe alors à sa 2e et dernière méthode: les insultes et l'attaque contre les opposants. Les élèves et les profs démontent les nouvelles enseignes, installons des vigiles pour les attraper et les traîner au tribunal.
Je passe justement par là et, avisant un autocollant clairement illégal car non justifié par une délibération officielle, je m'y attaque. Aïe, me voilà traité comme un criminel pendant 24h. J'échappe à la comparution immédiate sur demande de la Région qui veut cogner encore plus fort et me faire payer le prix de l'autocollant... et surtout ses frais d'avocats! Donc le cachot, les menottes, le prélèvement d'ADN, tout ceci n'aura objectivement servi à rien.
Mais Frêche avait négligé certains éléments. D'abord que ses méthodes sont maintenant connues, et la résistance s'est organisée.
Ensuite, le manque de chance. Et d'une, je n'étais pas du genre à me laisser impressionner, bien au contraire j'ai su ameuter les médias, les associations, et tout ce qui bouge un peu, si bien que mon aventure a fait 4 fois le tour de la ville en deux jours, et accessoirement j'ai pu prendre un bon avocat. Et de deux, le lycée en question avait été malencontreusement oublié quand la région a voté les changements de noms. Et de trois, le proviseur de ce lycée est le plus virulent et le plus médiatique de tous les proviseurs de la région. Et de quatre, tous les ressentiments accumulés de toute part contre Frêche ont trouvé là une occasion rêvée de s'exprimer.
Enfin, autant un maire peut assez facilement « tenir » une ville, autant verrouiller une région entière demanderait des moyens qui, heureusement, n'existent pas un pays encore à peu près démocratique comme le nôtre. De fait, on sent que Frêche est dépassé par la situation: il voulait faire disparaître « Visa pour l'Image », il l'a fait connaître et en a retiré une mauvaise réputation auprès de tous les journalistes; il voulait rebaptiser la région, il a échoué et a été ridiculisé devant toute la France; il voulait rebaptiser les lycées, il n'arrivera pas à imposer l'utilisation des nouveaux noms et s'est déjà couvert de ridicule. Dire qu'il fut pendant longtemps un champion de la communication (appelée aussi « propagande »), pas du niveau de Sarkozy mais presque: on peut dire qu'il y a aujourd'hui quelque chose de cassé!
Mais
tant
mieux si la propagande ne fonctionne plus: ainsi, les suivants
seront peut-être forcés à être honnêtes, travailleurs, et ouverts
au dialogue. Enfin, on peut rêver, si les citoyens le veulent
vraiment rien n'est impossible.