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Beaucoup de politiciens et de partis politiques sont accusés, par leurs adversaires ou par des commentateurs, d'être «populistes». On ne comprend pas toujours ce que signifie cette accusation, souvent exprimée à tort et à travers. Cette page propose une définition du «populisme», donne des exemples, et discute de la légitimité ou du danger de ce positionnement.
On pourrait certainement choisir bien d'autres définitions, mais
je propose d'appeler «populiste» tout mouvement ou
politicien qui se base sur «nous» contre «eux»,
c'est-à-dire qui affirme principalement qu'il représente et défend
«le peuple», c'est-à-dire la majorité de la population,
face à une (ou plusieurs) minorité, accusée d'accaparer ou de
manipuler le pouvoir de façon illégitime, et d'être à l'origine de
la majorité des problèmes, réels, futurs ou imaginaires, affectant
la population ou le territoire.
C'est une définition simple, qui repose sur le type de discours, et non sur la nature de la politique menée en cas d'arrivée au pouvoir, et moins encore sur l'opinion intime des politiciens. Un parti ou un politicien peut devenir «populiste» alors qu'il ne l'était pas précédemment, sans que ses opinions n'aient changées, simplement parce qu'il a changé de stratégie et décidé d'adopter ce type de discours.
Exemple de slogan témoignant d'un
positionnement populiste, en Roumanie:
Ce slogan était affiché sur un appel aux dons du jeune
parti roumain AUR(*) (Alianța pentru Unirea
Românilor – Alliance pour l'unité des Roumains), en
décembre 2020. Comme souvent, l'ennemi, «eux», n'est pas directement spécifié, ce qui permet à chacun d'y voir ses ennemis préférés. Dans cet exemple, c'est bien pratique car si le parti désigne bien certains de ses ennemis (comme l'Union Européenne et les homosexuels), il ne se prononce pas sur la Russie, que certains de ses électeurs voient comme l'ennemi juré (la Russie occupe militairement une partie de la République de Moldavie (la Transnistrie), qui constitue une menace vitale pour la Roumanie, et qui s'opposerait militairement à toute tentative d'unification entre la Roumanie et la République de Moldavie), mais qui est également l'allié fidèle de tout mouvement hostile à l'UE et à l'OTAN, a fortiori quand il est ultra-religieux (et orthodoxe). NB: ce texte écrit début 2021 fait référence au positionnement de AUR à cette époque, sans présager de leur évolution ultérieure. |
Dans une démocratie avec suffrage universel (où chaque citoyen
peut voter, contrairement au «suffrage censitaire», où
seuls les plus riches peuvent voter), il est très rare qu'un
politicien n'affirme pas représenter «le peuple», si du moins il
cherche à conquérir le pouvoir. Pourtant tous les partis ne sont
pas populistes (sinon, le terme aurait bien peu d'utilité).
NB: il y a aussi des partis qui ne prétendent pas représenter tout le peuple, mais qui se limitent à une idée précise (par exemple interdire l'élevage), ou sur une clientèle électorale précise (par exemple les chasseurs ou les musulmans): ils ne peuvent pas être majoritaires, mais ils peuvent donner une visibilité à leur projet, participer à des coalitions, ou simplement bénéficier du financement public aux partis politiques.
Un politicien qui affirme représenter «le peuple» n'est pourtant généralement pas «populiste», car c'est bien l'ensemble de la société qu'il prétend représenter, sans exclure aucun groupe déterminé. Bien sûr qu'il accuse certaines personnes, mais de façon ponctuelle (ses opposants politiques, les criminels, les fraudeurs fiscaux, etc), mais il n'attaque pas un pan entier de la société. S'il dénonce éventuellement une déviance dans un groupe social (par exemple l'oisiveté des jeunes), il affirme qu'il saura mettre fin à cette déviance pour réintégrer ce groupe dans la société (par exemple en redonnant le goût du travail aux jeunes).
Je ne parle ici que du discours: un politicien peut parfaitement
tenir un discours non populiste, et finalement arriver au pouvoir
en agissant contre un pan entier de la société (les femmes, les
homosexuels, les immigrés), ou au profit exclusif du clan qui l'a
soutenu (par exemple le patronat ou une religion).
Tous les dictateurs ne sont bien sûr pas des populistes: en fait,
la plupart des pouvoirs ont des tentations dictatoriales, et se
heurtent heureusement aux garde-fous prévus par la loi, la
Constitution et les tribunaux, et à la réaction de la société
(dont les médias, les associations, les syndicats, etc).
En France, où le pouvoir du Président est incroyablement étendu pour une démocratie, les exemples ne manquent pas: Emmanuel Macron a des manières clairement autocratiques (je décide seul, en ignorant le Parlement, les syndicats, les associations, et les oppositions) et autoritaires (je demande de lourdes sanctions contre les mécontents, par exemple les militants écologistes), pour autant il dénonce très rarement un pan de la société comme étant à l'origine des maux du pays.
Mais le discours populiste est particulièrement dangereux pour la
démocratie: historiquement, il est arrivé à de nombreuses
occasions que le groupe «ennemi du peuple» soit
progressivement privé de ses droits, de même que les personnes qui
soutiennent ces «ennemis du peuple». Plus la politique
d'exclusion des «ennemis» échoue (car la politique de
haine aboutit rarement à la prospérité et à la sécurité), plus le
pouvoir affirme que ses «ennemis» sont responsables de son
échec et qu'ils doivent être attaqués encore plus durement. Dans
un premier temps on commence par nier l'humanité du groupe des «ennemis
du peuple» en les désignant par «ça» au lieu de «eux»
et en interdisant toute empathie avec les drames dont ils
souffrent (par exemple si des immigrés meurent en mer), puis on
arrive à des issues tragiques: privation de droits essentiels
(travail, logement, alimentation) et régimes de type apartheid,
incarcérations sans cause sérieuse, création de ghettos,
déportations, jusqu'à l'extermination.
Un autre danger majeur des pouvoirs populistes est que,
prétendant représenter directement «le peuple», ils s'attaquent à
tous les contre-pouvoirs, ou «corps intermédiaires»,
accusés de s'opposer au «pouvoir du peuple»: syndicats,
médias, associations, partis politiques, parlementaires et élus
locaux. Les contre-pouvoirs supra-nationaux sont également
systématiquement attaqués: ONU et organismes onusiens, Union
Européenne, Cour Européenne des Droits de l'Homme (la CEDH ne
dépend pas de l'UE, mais l'UE en est membre). Or ces
contre-pouvoirs sont indispensables pour protéger la démocratie.
Les populistes ne jurent que par les outils de décision directe
par le peuple, tels que les référendums, les plébiscites
(référendums pour ou contre le dirigeant en place), ou encore
divers comités de simples citoyens: or ces outils ne sont pas
suffisants pour contrôler un gouvernement, car le pouvoir des
citoyens est impuissant s'il n'est pas structuré de façon assez
puissante pour affronter le pouvoir de l'État. Les discours
vantent souvent l'horizontalité, mais en réalité seuls les
contre-pouvoirs et les citoyens de base sont écrasés, ce qui
permet au chef suprême de se maintenir seul à l'abri de tout
contre-pouvoir.
Cette logique se voit particulièrement chez la France Insoumise
(LFI) de Jean-Luc Mélenchon, parti organisé de façon présentée
comme «horizontale», c'est-à-dire que personne n'a le
droit de rien dire (officiellement, il n'y a même pas d'adhérents,
donc pas d'élections internes, pas de congrès, ni aucune autre
forme de démocratie interne) et que le grand chef est seul maître
à bord.
On a pu constater un phénomène proche chez les Gilets Jaunes,
avec l'interdiction de tout représentant, au nom de «le peuple
décidera avec le Référendum d'Initiative Citoyenne (RIC)».
Or un «RIC» ne peut aboutir que s'il est soutenu par une
organisation puissante, par exemple un média de masse. Ainsi les
Gilets Jaunes sont-ils devenus une structure dictatoriale où
chaque participant n'a aucun pouvoir, prête à en découdre
physiquement avec ses adversaires, et dirigée en pratique par les
trolls russes (comme Russia Today) et d'autres groupes
complotistes (comme les antivax), par CNews, par LFI, et par le FN
(dans les régions où il a su les infiltrer).
Mais les partis populistes ne finissent pas tous par commettre
des génocides: certains s'adoucissent une fois au pouvoir. Par
exemple parmi ceux qui prétendent combattre «les riches» au nom du
«peuple», il y a parfois eu des actes odieux, comme au Venezuela
sous Chávez et Maduro, mais surtout en URSS où des millions de
paysans ukrainiens ont été volontairement affamés sur ordre de
Staline en 1932-1933. Mais d'autres finissent par transiger avec
les «riches» honnis, comme en Grèce: l'alliance d'extrême-gauche
anti-système SYRIZA a finalement appliqué une très classique
politique de centre-gauche et de négociation avec les créanciers
du pays, après s'être débarrassée de la tendance plus radicale
représentée par Yánis Varoufákis.
Il y a des cas où le peuple est effectivement opprimé par une
minorité qui n'a aucune légitimité, et on comprend bien que des
politiciens veuillent s'y attaquer. Mais même dans ce cas, il y a
une différence entre remettre à sa place une minorité qui avait
accaparé le pouvoir, et la désigner comme un ennemi à abattre. Et
donc, il n'est pas nécessaire d'être populiste, même dans ce cas.
En Afrique du Sud, l'ANC (African National
Congress – Congrès national africain) de Nelson Mandela a
défendu les noirs, majoritaires dans le pays, face au régime
raciste de l'apartheid dans lequel les citoyens classés «blancs»
vivaient en liberté tandis que les autres étaient de privés de
plus en plus de libertés selon qu'ils étaient classés, dans cet
ordre, «asiatiques», «métis» (en anglais: “coloured”) ou «noirs».
Or les «noirs» étaient majoritaires, et accessoirement occupants
historiques du pays. Le discours d'une minorité accaparant
indûment le pouvoir et les richesses était donc ici la réalité
objective.
Dès le départ, Nelson Mandela n'a pas eu pour but d'éliminer ou
d'expulser l'élite blanche (présente depuis bien trop longtemps
pour que ce soit un objectif réaliste ou souhaitable), car
l'objectif était de créer un pays dans lequel tous les citoyens
auraient les mêmes droits, et notamment le droit de vote, quelle
que soit leur couleur de peau corporelle ou administrative. Son
idéal de «nation arc-en-ciel» était tout le contraire d'un
discours populiste.
C'est probablement cette absence de populisme qui a permis à l'ANC, d'une part de convaincre quelques rares «blancs» d'accepter une réforme du régime raciste de l'apartheid (en particulier Frederik de Klerk, le dernier président de la période raciste), et d'autre part d'éviter un drame social ou économique après la fin de l'apartheid. Les inégalités n'ont pas disparu (pour cela, il ne suffit pas de donner des droits, mais il aurait fallu une politique volontariste), le pays est très dangereux, et le slogan de la «nation arc-en-ciel» ressemble à un simple slogan, mais la réforme a tout de même été un succès si on compare à d'autres pays.
En effet, la situation est différente au Zimbabwe (ex-Rhodésie du Sud), où Robert Mugabe a lui aussi défendu le peuple majoritaire, noir et opprimé, face au gouvernement blanc et colonial. Il se revendiquait du mouvement socialiste, défendant le peuple travailleur face à l'élite possédante et non productive.
Mugabe est une illustration des dangers du populisme, malgré que
la lutte contre le colonialisme et pour les droits des noirs était
légitime. Mugabe a attisé la haine contre les blancs, notamment
les agriculteurs qui ont dû fuir s'ils le pouvaient, et contre
d'autres élites (et tant qu'à faire, également contre les
homosexuels). Se proclamant seul représentant du peuple, il a
interdit les autres partis et supprimé la liberté de la presse. Il
a également violemment réprimé des populations pauvres, pour la
seule raison qu'elles ne lui étaient pas favorables. Le résultat a
été une mise au ban du pays, et une crise économique hors du
commun, car les fermes et autres moyens de production qui étaient
gérés par des blancs ont été confiés à des responsables
incompétents. Voici où mène le populisme s'il arrive au pouvoir.
En Italie, la Ligue du Nord (en italien: la Lega Norte) créée par Umberto Bossi, revendiquait l'indépendance d'une partie riche du nord de l'Italie, que le parti baptisait la «Padanie» (c'est-à-dire la région de la plaine du Pô, région fertile autour du Pô, le grand fleuve qui passe par Turin).
La Ligue du Nord était clairement populiste, puisque son discours consistait à dénoncer le «sud» de l'Italie (terme qui incluait en particulier Rome), accusé d'être moins productif et de vivre aux dépens des impôts payés par les habitants et entreprises de la «Padanie», et de diriger la Padanie depuis la capitale italienne, Rome.
En Italie toujours, la Ligue (en italien: la
Lega), qui est le même parti que le précédent mais ensuite
dirigé par Matteo Salvini. Le parti a supprimé la
mention «du Nord», il a étendu son territoire d'activité
(passant de la «Padanie» à l'ensemble de l'Italie), et renoncé
à son discours sur l'indépendance de la «Padanie». Ne
dénonçant plus publiquement «le sud», il s'attaque alors à
l'Union Européenne, aux immigrés, et aux homosexuels.
Le discours reste donc totalement populiste, puisqu'il affirme défendre la majorité des vrais Italiens face au pouvoir accaparé par l'Europe, aux dangers supposés des immigrés, et à toutes sortes de mouvements progressistes. Seule l'identité des «ennemis du peuple» a changé. C'est l'illustration de la tendance des partis populistes à changer totalement de discours sur les sujets les plus importants (ici, la sécession de l'Italie du Nord, ou au contraire l'unité de l'Italie), car le véritable fond de leur discours est un message de haine.
Il faut signaler que le discours indique une stratégie électorale mais ne correspond pas forcément à la volonté profonde du parti ou à ses intérêts profonds. Ainsi, le changement de discours de la Lega n'a pas fait disparaître sa proximité avec le patronat industriel du nord de l'Italie, et sa véritable priorité serait certainement toujours de réduire les impôts pesant sur l'industrie.
En Italie encore, un fort mouvement social a dénoncé
«la caste» (reprenant le titre d'un best-seller publié en
2007), c'est-à-dire l'ensemble des personnes occupant
injustement le pouvoir et bénéficiant d'une supposée impunité
tout aussi injustifiée (en réalité les tribunaux italiens ont
plus souvent condamnés les corrompus et les mafieux que les
tribunaux français), expression pratique qui évite de
spécifier qui sont exactement les «ennemis du peuple». Le
succès de ce mouvement, d'orientation assurément populiste, a
été mitigé, mais on pourrait voir dans le «Mouvement cinq
étoiles» (Movimento cinque stelle), qui a eu un succès
aussi impressionnant qu'éphémère, une concrétisation de cette
tendance. Au-delà de cette dénonciation de la «caste» ennemie
du peuple, les positions étaient disparates et le parti a
sombré dans l'incohérence.
En France, le Front National (rebaptisé Rassemblement National), créé et géré par la famille Le Pen (Jean-Marie Le Pen, Marine Le Pen, Jordan Bardella [dont la compagne est une petite-fille de Jean-Marie Le Pen]), est l'archétype d'un mouvement purement populiste, car plus encore que la «Ligue du Nord» devenue la «Ligue», son programme est inconsistant si l'on exclut sa dénonciation des ennemis du peuple, qu'il désigne d'ailleurs à profusion: les étrangers et surtout les Arabes (c'est le noyau dur de sa dénonciation), les descendants d'étrangers (même de 4e génération), les noirs, les musulmans, les habitants des quartiers populaires, les journalistes, les députés (surtout ceux de gauche et les écologistes, mais l'attaque contre les députés a cessé en 2022 avec l'élection de 89 députés FN), les sénateurs, les associations, les juges, l'Union Européenne, les droits humains, les avocats (surtout les pénalistes défendant des accusés), les défenseurs des principes démocratiques et des droits de l'homme, les francs-maçons, les climatologues, les laboratoires pharmaceutiques et les chercheurs en médecine,...
Mais le programme du FN/RN est donc inconsistant, car il est flou ou variable sur la plupart des sujets. Par exemple les juifs étaient des ennemis mais désormais Israël est admirée pour sa guerre contre les arabes (par contre le «banquier juif» reste un ennemi du peuple et la cible d'attaques complotistes), la Russie était l'ennemi juré mais c'est devenu le soutien du parti (même si elle est présidée par un ancien du KGB soviétique),...
Ce qui fait du FN/RN un mouvement exclusivement populiste, c'est qu'il n'a pas de position sur les sujets ne se résumant pas à la dénonciation d'un ennemi. Malgré les débats qui agitent le pays, le parti ne prend jamais position sur les retraites (faut-il augmenter les retraites et donc les cotisations ou les impôts, ou bien réduire les impôts et les cotisations sociales mais donc également les retraites?), ni sur la Sécurité Sociale, ni sur les mesures de prévention contre le Covid au moment où la question se posait de façon urgente (faut-il renforcer les mesures pour se protéger, ou au contraire laisser la liberté à chaque citoyen, faut-il développer ou non la vaccination,...?). Cette absence de position ne signifie pas forcément que les dirigeants du partis soient incompétents ou sans opinion, mais juste qu'ils veulent attirer des électeurs ayant des intérêts absolument divergents (par exemple des employés et des patrons), et utiliser la haine des «ennemis du peuple» comme élément fédérateur et comme paravent pour masquer l'absence de programme réel.
Cette absence de programme est parfois payante, mais elle a provoqué le naufrage de Marine Le Pen lors du débat télévisé avec Emmanuel Macron, le 3 mai 2017, car Mme Le Pen avait imprudemment annoncé qu'elle ferait sortir la France de l'euro pour réduire la dette grâce à la dévaluation monétaire et ainsi rétablir la compétitivité du pays. Mais ne voulant pas assumer qu'une telle décision revenait à dévaloriser aussi les actifs des épargnants (dont elle attend également les voix), elle a sombré dans le ridicule et l'incohérence.
En France, Nicolas Dupont-Aignan, et en Allemagne, le parti Alternativ für Deutschland (AfD - Alternative pour l'Allemagne), ont suivi des évolutions proches, même si le premier est resté anecdotique alors que le second joue un rôle significatif dans son pays. Dans les deux cas, il s'agit de personnes qui ont commencé leur activité politique avec une orientation eurosceptique plutôt bourgeoise et sérieuse. Leur discours n'était donc pas du tout populiste. Puis les discours se sont simplifiés et durcis, et ils se sont mis à essentiellement désigner des «ennemis du peuple», en la personne des immigrés, en devenant de plus en plus complotiste, et même néo-nazi pour une partie de l'AfD. Par exemple, Dupont-Aignan s'est illustré, en plein incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris, en haranguant la foule pour dénoncer un prétendu attentat musulman contre ce joyau du patrimoine catholique français. En réalité cet incendie a été provoqué par des travaux de rénovation de la charpente, par l'installation imprudente de câbles électriques dans une vieille charpente en bois, et par les graves dysfonctionnements du système anti-incendie dont les alarmes répétées ont été ignorées.
Les exemples donnés plus haut montrent bien que le populisme
existe depuis de nombreuses décennies.
Pourtant, force est de constater que des politiciens qui suivent
cette stratégie apparaissent un peu partout dans le monde, et
amènent à se demander s'il y a une raison actuelle qui favorise de
type de mouvements.
Une raison est probablement la disparition, ou l'affaiblissement,
de nombreux corps intermédiaires, qui aident souvent à structurer
la mobilisation des citoyens. Les raisons sont nombreuses,
notamment l'informatisation et l'ubérisation du travail (qui
isolent les travailleurs au lieu de les réunir dans un syndicat),
ou les difficultés de la presse (rachetée par des propriétaires
peu intéressés par l'intérêt général, et concurrencée par des
sources d'information sur internet, peu fiables mais gratuites).
D'une manière générale, les personnes sont plus seules qu'avant,
que ce soit au travail, dans la vie privée, mais également dans
l'action politique, ce qui affaiblit les corps intermédiaires et
favorise les messages simples de rejet, ainsi que l'adhésion à des
thèses conspirationnistes.
Si on observe l'influence russe en France, qui existe depuis plus
d'un siècle, on constate l'évolution drastique des techniques.
Longtemps, cette stratégie était lente et ancrée sur des
structures organisées localement et des personnes identifiées: il
y avait un parti et un syndicat (le PCF et la CGT), des
intellectuels recrutés et convaincus par les mises en scène qu'on
leur montrait en URSS, des maisons d'édition, des clubs sportifs,
etc... Et les défections n'étaient pas rares. Aujourd'hui, c'est
directement depuis Saint-Pétersbourg que les trolls sont lancés
sur Facebook et Twitter, une personne peut être lancée sur la
scène publique avec très peu de soutiens et relais locaux, elle
peut donc facilement se revendiquer «hors système», et rejeter
l'ensemble des corps intermédiaires et des contre-pouvoirs,
qu'elle classera parmi ses «ennemis du peuple» (qui s'opposent au
«vrai peuple»: celui qui va voter pour elle).
Les populistes ne peuvent pas toujours arriver au pouvoir (même
si ça arrive: Trump, Bolsonaro, et bien d'autres), car ils sont
divisés et défendent des positions souvent divergentes.
Mais le risque le plus immédiat est qu'ils se renforcent
mutuellement, en dénigrant les mêmes ennemis, c'est-à-dire bien
sûr le pouvoir, mais aussi et surtout les contre-pouvoirs, à
commencer par la presse (qui diffuse d'autres messages que le
leur), les juges (surtout les tribunaux constitutionnels, les
cours suprêmes, et équivalents), les scientifiques (dans le
domaine de la médecine ou de l'environnement), les syndicats, les
associations, et bien d'autres encore. En cas de soutien par une
puissance étrangère (par exemple russe), ils partageront aussi des
messages géopolitiques, comme la dénonciation de l'Union
Européenne, de l'OTAN et plus généralement de l'alliance avec les
Américains, et de l'Ukraine.
Ainsi, même s'ils n'arrivent pas au pouvoir, ils peuvent créer la
zizanie et le doute, et pousser la population à rejeter ce qui
fait sa force: la démocratie basée sur l'existence de
contre-pouvoirs, et la solidarité avec les démocraties voisines.
Au bénéfice des dictateurs qui soutiennent ces populistes
(financièrement, ou en propageant leur discours au moyen de trolls
sur les réseaux sociaux).
Chaque coin enfoncé dans le bon sens casse une barrière qui
facilite la croyance à des théories encore plus extravagantes, et
l'épidémie de complotisme n'est évidemment pas indépendante de la
multiplication des partis populistes.
Bien souvent, le complotisme démarre par la croyance dans une
pseudo-médecine. Car si notre médecin de famille, à qui nous
faisons toute confiance, prescrit des «médicaments
homéopathiques», alors que la science a démontré leur inefficacité
à chaque fois qu'ils ont été testés, c'est bien la preuve que la
science a ses limites. Et donc on peut aussi croire que
l'acupuncture est efficace grâce aux «méridiens», qu'on cherche
pourtant en vain depuis des siècles (et alors qu'on a démontré que
piquer à côté du «médirien», ou faire une fausse piqûre avec une
aiguille téléscopique, a exactement le même effet que la «vraie»
acupuncture). On ira se faire soigner chez un «naturopathe» qui
contredira tout ce qu'on pouvait comprendre de la médecine, et
chez un ostéopathe qui pratiquera du «magnétisme» et qui se
gardera de dire quel est le rôle exact de ses manipulations. De
là, on va aisément croire que les nouveaux vaccins sont dangereux
même si les études cliniques démontrent le contraire (on évite de
le croire pour les anciens vaccins, car à l'évidence on y a
survécu). Puis on inscrit les enfants à l'école Steiner (dépendant
de la secte de l'anthroposophie), à moins qu'on les retire de
l'école car «la société ne cherche qu'à les pervertir». Au final,
on s'isole de toute la société (y compris de ses proches) et on
s'enferme dans une secte.
Le même phénomène se produit avec le populisme, où tous les
mouvements sont d'accord, malgré leurs immenses divergences, sur
un corpus de mensonges: les députés sont tous pédophiles, le
gouvernement utilise les vaccins et la 5G pour manipuler nos
cerveaux, Poutine est grand défenseur de son peuple contre la
menace de l'impérialiste occidental, etc. Dès lors, un dictateur
peut assez facilement arriver au pouvoir, car les électeurs
devenus populistes ont fait sécession et ne vont plus voter que
pour des populistes, peu importe de quel bord, comme on l'a vu aux
Antilles françaises à la présidentielle de 2022 (les électeurs ont
voté massivement pour LFI au 1er tour, et massivement pour le FN
au 2e tour, sans se préoccuper que l'un soit d'extrême-gauche et
l'autre d'extrême-droite, ni que le FN soit raciste et haïsse les
noirs).
Je vous ai proposé une définition du populisme, en espérant avoir
montré que ce terme n'est pas uniquement une accusation gratuite,
mais bien une réalité très dangereuse pour notre démocratie.